Crédit photo © Emmanuelle Jacobson-Roques - Ce qui me meut

Deux moi

Le cinéma de Klapisch, c’est le chocolat chaud qui réconforte ou le bon verre de vin qui réchauffe le cœur. C’est le film qui partage ton blues du dimanche soir pour te redonner la foi avant le lundi. Deux moi continue dans cette lignée. Du Péril Jeune (1994)  – une petite pépite selon moi –  à la trilogie L’auberge espagnole (2002), Les poupées russes (2005), Casse-tête chinois (2013)en passant par Paris (2008), le cinéaste est resté fidèle à son acteur Romain Duris (à moins que ça ne soit l’inverse ?). Mais depuis peu, il laisse entrer une nouvelle génération de comédiens. Ici, il réunit deux acteurs, François Civil et Ana Girardot, présents déjà dans son film Ce qui nous lie (2017). J’affectionne beaucoup ces deux-là, François Civil tout particulièrement : il a longtemps hérité des seconds rôles mais les a incarnés à merveille, avec son naturel comique et attachant. Je l’avais découvert dans Bus Palladium (Christopher Thompson, 2010) avant de prendre une bonne tranche de rire devant Five (Igor Gotesman, 2016) ou de le voir dans un film plus dramatique, traitant du terrorisme, Made in France (Nicolas Boukhrief , 2015), qui n’a jamais vu le jour au cinéma par respect pour les victimes des attentats du 7 janvier et 13 novembre 2015. Ana Girardot a elle aussi un potentiel naturel dans son jeu d’actrice qui me plait, notamment dans Bonhomme (Marion Vernoux, 2018) et dans Ce qui nous lie.

D’espaces fermés en espaces fermés : une génération esseulée ?

Paris. La capitale. La grande ville où on est tellement nombreux qu’on est tous un peu seuls. Une ouverture de film qui s’ancre dans les boyaux du métro, la frénésie des gens qui vont et viennent, se déplaçant d’un point A à un point B, pour revenir au point A à la fin de la journée : chez soi, un appart au milieu des apparts. On ouvre les volets pour se prendre le bon air pollué et quelques décibels de circulation : l’ambiance citadine à laquelle on s’habitue et qu’on finit même par aimer. Une histoire de “ solitude urbaine ” comme l’exprime François Civil dans une interview de SensCritique. On traîne sa fatigue et ses pensées encombrantes dans le métro, la tête collée contre la vitre ou le regard dans le vague : bref, tout le monde arbore sa tête de transports en commun au quotidien. Et pourtant, il y a du personnel et du vivant dans cette jungle anonyme. Rémi et Camille sont voisins ; ils n’habitent pas le même immeuble mais leurs appartements sont collés, alors c’est tout comme. Ils se suivent sans le savoir, sans se voir réellement. La fuite dans un sommeil de plomb pour elle, des insomnies à répétitions pour lui, un ordinateur toujours ouvert sur le lit, ils vont respectivement entamer une psychanalyse : François Berléant jouant le psy du jeune homme et Camille Cottin, nôtre Connasse préférée (oh yes !), dans le rôle de la psychologue pour la jeune femme.

On voit les personnages évoluer au sein d’espaces clos : le métro, leur appartement, leur lieu de travail, le cabinet du psy ou encore l’épicerie du coin…Enfermés dans leur quotidien, le cinéaste cadre ses protagonistes dans de nombreux plans fixes.

Quand tu vis ta petite déprime solo dans ta baignoire :)… © Emmanuelle Jacobson-Roques

Et pourtant, de l’hibernation aux petites actions, de réflexions en rencontres, nôtre duo disjoint va éclore petit à petit. Car au milieu des galères et des angoisses, Klapisch a toujours sa dose d’optimisme qu’il aime injecter dans la vie de ses personnages. Un peu facile parfois me direz-vous mais c’est sa marque de fabrique ! Des chassés-croisés qui ont l’air de petits riens mais qui forment un tout, aux échanges avec des personnalités atypiques ; des éléments simples viennent insuffler un souffle d’air frais et de la simplicité dans le non-sens. 

Séquences de vie de nouveaux trentenaires

Au fil des répliques, Klapisch teinte d’humour la société parfois tristounette et pathétique dans laquelle nous sommes empêtrés. De la mascarade des questions d’entretien d’embauche : Décrivez-vous-en un mot ? Vous êtes plutôt leader ou suiveur ? (Pitié…), à Facebook en passant par les rencontres foireuses des sites de rencontres, il nous confronte gentiment à des éléments connus de la génération des trentenaires ou de ceux qui s’en approchent. Il scanne une société qui nous demande de nous vendre rapidement, que ce soit sur Tinder où l’on choisit celui ou celle qui nous comblera (ou pas) au moins le temps d’une nuit, ou face à un recruteur pour décrocher un travail ; le but étant de nous résumer en une photo de profil et quelques mots-clés pour voir vite fait mal fait si nous valons le coup.

Le film ne se veut pas jugeant, mais il y a clairement un parti-pris sur la manière dont doit se vivre une rencontre, et le virtuel est pour le moins ici synonyme de perdition ou de superficialité faisant perdre tout le charme d’une vraie rencontre. Qu’on soit adepte ou non de ces sites, Tinder a-t-il réellement tué la magie de la rencontre et le romantisme ? Ana Girardot et François Civil livrent leur point de vue, toujours avec humour, dans cette interview de   Brut :

Avant d’être Deux …

« Vous avez le droit d’être heureux » : voilà en fait la phrase-clé du film, la phrase clichée- mais-vraie, celle qui donne le feu vert à un début d’épanouissement. Oui vous avez le droit d’être heureux, et ce même si vous n’avez pas rencontré votre deuxième « moi » à l’aube de vos trente ans. Deux moi n’existent pas, et deux vous n’existent pas non plus, vous êtes complet(e) (fermeture de la parenthèse psychologique). Deux moi reflèteplutôt des solitudes qui cherchent à se découvrir et à s’apprivoiser elles-mêmes, et quand elles se sentent prêtes à sortir un peu de leur bulle, ça donne quelque chose de plutôt sympa et libérateur.

Le dernier Klapisch n’est pas dans la lignée des grands films, mais il fait parti des consolateurs et de ceux qui redonnent le rire et le smile, alors si vous avez besoin de légèreté, allez-y 😉 !

Chloé Naberac

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