Irréprochable et L’Heure de la sortie, la tension des faux-semblants

Sébastien Marnier est un cinéaste français naissant qui suit déjà des pistes artistiques très affirmées. Ses deux premiers long-métrages se placent dans un cinéma de genre auteurisant, où l’angoisse et la tension montent en crescendo, accompagnées par une musique spectrale typée 80’s. Mais ce qui semble être au coeur de ses préoccupations, c’est la question du mensonge. Tentative d’analyse et de comparaison de ces deux pépites du cinéma français.

Se méfier des apparences

Irréprochable, ou le récit d’une Constance au bord du gouffre qu’elle a bâti elle-même avec ses mensonges. L’Heure de la sortie, ou le récit d’un Pierre incapable de contempler la vérité brute à ses pieds. Personnages à l’opposé sur le spectre du mensonge, et qui partagent pourtant énormément de choses dans leurs écritures contraires.

Bande annonce de Irréprochable

Si l’on éprouve de la pitié pour Constance au début d’Irréprochable, on apprend bien vite ses trahisons et mensonges. Elle joue un rôle en permanence. Un peu comme le personnage de Pierre dans l’Heure de la sortie qui suit le processus inverse : incapable de voir la vérité là où elle est, il préfère monter toute une histoire complotiste dans sa tête plutôt que de croire ceux qui lui disent la vérité: des enfants, symboles pourtant communs de l’innocence et de l’honnêteté. 

Bande-annonce de L’Heure de la sortie

Mais ils sont ici présentés comme antipathiques, froids, et le jugement sur leur apparence hautaine nous conduit à ne pas les croire. Un message qui résonne d’autant plus ironiquement à l’heure où Greta Thunberg semble revêtir le même rôle prophétique que la bande d’adolescents dans L’Heure de la sortie

Dans les deux films, les personnages principaux sont dans une fuite en avant constante. Le résultat est le même dans les deux cas : incapables de s’accrocher à la vérité, il bâtissent leur monde sur des illusions, rendant leur chute inexorable d’autant plus violente. Notons d’ailleurs l’ironie de leurs prénoms respectifs : Constance, nimbée de mensonges, vit une vie dissolue et dispersée. Pierre, rigide dans ses idéaux et ses idées préconçues, est incapable de prendre du recul sur les choses pour s’ouvrir à la vérité.  

Une caméra sensible au service de l’introspection

Que ce soit dans Irréprochable ou dans L’Heure de la sortie, les personnages sont constamment à l’intérieur d’eux-mêmes : froids, peu expressifs, parfois même antipathiques, tous semblent contenir leurs émotions. Comme si s’ouvrir aux autres les mettait en danger; danger effectif puisque c’est au moment où leurs émotions paraissent au grand jour que les issues, toujours fatales, se dévoilent. 

Source : Captain Watch

Paradoxalement, la caméra est elle très sensible, voire sensuelle : les corps sont souvent nus, le grain de peau visible à l’écran, les gros plans sur les visages soucieux omniprésents… Dans l’interview qu’il nous a accordé (mettre le lien), Sébastien Marnier nous a parlé de l’engagement des corps, qui est pour lui essentiel dans le travail de ses acteurs. Il cherche à les éprouver physiquement, car le cinéma est pour lui du domaine du physique avant tout.

Source : CaptainWatch

Ce qui pourrait sembler au premier abord être une contradiction en dit en fait beaucoup sur la narration de Sébastien Marnier. Les personnages dans ses films se parent d’un masque pour survivre dans un monde qui leur est hostile. La contradiction entre leurs corps, qui souffrent de cette contrainte, et leurs psychés, toujours fausses, est le centre de la tension de ses récits.

La nature révélatrice

La nature dans les deux films revêt elle aussi un aspect double. Elle est dans un premier temps source de repos de l’esprit, avec un côté presque mystique et sacré. Les personnages, perdus au milieu des arbres et des paysages arides, peuvent y être eux-mêmes et lâcher la bride à leur esprit contraint : Marina Foïs va y faire son jogging dans Irréprochable, seul moment où elle est sincère envers elle-même. C’est aussi l’endroit dans L’Heure de la sortie où les ados se rejoignent pour se mettre à l’épreuve et pouvoir être eux-mêmes loin des regards indiscrets sans souffrir du jugement.

Source : Captain Watch

Mais la nature est aussi mortifère et funeste. La fin sinistre d’Irréprochable, où Marina Foïs ne contrôle plus son esprit et laisse son corps agir, sonne le glas de la nature rassurante. On pouvait sentir ce dénouement tragique venir avec le travail sur le son des oiseaux et des insectes, qui devenait de plus en plus angoissant et omniprésent à chaque séance de jogging. Dans L’Heure de la sortie, la nature est encore plus personnifiée dans un aspect mystique, puisqu’elle prend sa revanche contre l’Humanité entière, revêtant un aspect apocalyptique. 

Source Captain Watch

On sent que la nature est le lieu des idées, des émotions mises à nu : les personnages peuvent y être eux-mêmes. Mais une sorte de “karma” finit par rattraper les personnages. La nature a un rôle déifié, comme une sorte de juge sentencieux qui viendrait punir les mensonges des personnages.

Sébastien Marnier semble vouloir continuer à explorer ces questions là dans son prochain projet, un thriller familial avec une figure de patriarche ultra toxique. On a hâte de suivre l’évolution de la carrière de celui qui s’affirme déjà comme un artiste. 

Dolores

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