Three Billboards outside Ebbing, Missouri (2018)

Au commencement

Une belle voix, celle de Martha, “the last rose of summer”, la dernière rose de l’été. Un peu de brouillard, un temps grisâtre, trois panneaux au bord d’une route perdue au milieu d’un nulle part qui s’avérera être Ebbing, une petite ville de campagne du Missouri. Ces trois gigantesques panneaux publicitaires à l’abandon laissent encore apparaître des publicités de produits pour bébés. La voix de Martha n’est un personnage du film que si l’on considère la bande originale comme un personnage. Martha, c’est le personnage de l’opéra allemand éponyme Martha de Friedrich Von Flotow. Non, le film ne parle pas de Martha, mais c’est elle qui nous y fait entrer et qui reviendra à nous par moments. La scène d’ouverture nous présente donc ces panneaux abandonnés et oubliés qui vont pourtant être l’élément perturbateur du film. Le titre arrive sur un fond noir « Three Billboards outside Ebbing, Missouri », maisle titre français aurait tout gâché : Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance. La voix s’arrête, nous revenons sur ce même lieu mais il fait un grand soleil, une voiture passe devant, c’est le personnage principal, Mildred Hayes interprétée par Frances McDormand très loin de son personnage de Linda dans Burn After Reading (2008) des frères Coen. Ici elle incarne parfaitement son personnage au caractère fort et commence par nous le prouver en effectuant un geste : elle se cure les dents d’une manière impulsive et violente avec son ongle alors qu’une idée surgit en elle à la vue de ces panneaux, que l’on comprendra être de grands messages dénonçant l’inactivité de la police quant à l’affaire de sa propre fille violée puis tuée. Une typographie brute et des mots bruts marqués en noir sur un fond rouge sang.

Si je décris ici toute la scène d’introduction, c’est pour prouver dès le départ que le film est une réussite, il maîtrise son propos et raconte son récit avec justesse grâce à son montage. Mais une bonne scène d’introduction ne suffit pas à convaincre, et puis nous n’avons eu qu’un seul et court aspect du personnage et de la bande originale. Alors c’est quoi la suite ?

Bonne BO, bonne écriture, bons acteurs, bons personnages

Eh bien puisque je parle de la bande originale depuis le départ, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin… Celle-ci change radicalement de ton puisqu’elle passe d’une musique douce d’opéra à une musique plus rustique globalement instrumentale qui nous plonge dans la campagne américaine, parfois rythmée, parfois calme, parfois grave, (impossible de la dire mauvaise sinon que l’on ne l’aime pas). Et puisque l’on parle de musicalité, parlons des accents très prononcés des personnages, ça mâche presque les mots, c’est très américain. Oui on est bien dans l’Amérique profonde, on le comprend très vite et on remercie les acteurs pour ça. Il faut dire que le réalisateur de 7 Psychopathes(2013) ou encore de Bons Baisers de Bruges (2008), Martin McDonagh, a toujours travaillé avec des acteurs de talent, ici on en retiendra au moins 5 : Frances McDormand (Mildred Hayes), Woody Harrelson (Sherif Willoughby), Sam Rockwell (Jason Dixon), Peter Dinklage (James) et Caleb Landry Jones (Red Welby) qui sort de nulle part et que j’ai pourtant vu plusieurs fois en moins d’un an (cf : Get Out, The Florida Project et Barry Seal : American Traffic). Non seulement ils sont bons mais aussi leurs personnages sont bien écrits; je suis certain que si l’on me sortait n’importe quelle réplique d’un de ces personnages hors contexte, je saurais qui l’a prononcée. Chacun d’entre eux nous touchent au moins une fois dans le film. Mildred le fait constamment mais particulièrement dans ses moments de solitude totale, Willoughby juste avant et après la scène de l’écurie, Red à l’hôpital, James avant de partir du restaurant, et la liste est encore longue. Mais le plus touchant reste Dixon, le flic complètement idiot incarné par Sam Rockwell, qui est le seul personnage secondaire qui se hisse à la hauteur de Mildred. Il alterne entre des scènes de violence gratuite et d’humour. Il nous est présenté comme un antagoniste mais se révèle bien plus complexe que cela. Même si ce qu’il devient à la fin peut paraître très « américain » ou cliché pour certains (et à ceux-là j’ai envie de leur dire que le film transpire l’Amérique)… Je serais plutôt d’accord, il est vrai que le personnage a une prise de conscience qui survient presque d’un coup, mais on y croit, même s’il s’en est fallu de peu. Néanmoins chaque personnage subit une évolution complète au bout de l’histoire. Ils s’entrechoquent durant tout le long-métrage et évoluent ensemble. Le film est qualifié de drame, et à tout honneur. Il sait quand être dramatique mais il sait aussi quand être drôle et quand être brutal. La mise en scène s’adapte aux situations, et la caméra prend parfois le temps de nous offrir des plans iconiques, bourrés de sens et d’interprétations, je parle ici particulièrement des scènes de discussions sur les balançoires qui font écho entre elles et qui sont pour moi excellemment bien filmées.

Trop bon, trop con(venu)

Mais les qualités du film ne résident pas dans la prouesse technique car à ce niveau il ne nous propose rien de bien novateur. Il n’y a aucune prise de risque, ni morale, ni technique. C’est un film à personnages. Ils grouillent, ils sont bien écrits et interprétés, les événements s’enchaînent facilement, et intelligemment. Et c’est finalement en cela que ce film arrive à plaire mais n’arrive pas à transcender. McDonagh reste assez lisse dans ce qu’il fait. En effet, la bande originale est belle, en effet la mise en scène est réussie, il y a des plans sublimes par moments. C’est une belle histoire originale qui nous touche, qui parfois nous pousse un peu grâce à l’interprétation de Frances McDormand. Mais il ne dérange pas, il reste bien trop convenu et donc ne bouscule personne. C’est bien le seul gros reproche que l’on puisse faire à ce film. Il nous propose une belle histoire originale joliment racontée, mais d’ici quelques années nous l’aurons probablement oublié, il ne nous aura pas fait réfléchir, ni remis en question. Le film se termine sur une fin ouverte appréciable, sans quoi il ne nous laisserait qu’avec peu de bagages. Quel regret que de voir un scénario si réussi au service d’une réalisation si lisse qui le rend oubliable. Alors on sort de la salle, on apprécie le film et puis c’est tout. On va voir quoi la prochaine fois ?

Arslo

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